Les
Due poesie francesi d'après Ghérasim Luca, composés en 2009, viennent s’ajouter au cycle des
Poesie francesi (1994-96) qui réunit des couples de poèmes écrits en français par des écrivains étrangers.
Les poèmes de Luca font écho à ceux de Beckett, qui clôturent le cycle. Ils ont en commun des procédés d'écriture déconstructiviste d’influence lettriste ou oulipienne, un ton sec entre le sarcasme et l'absurde, une prolifération vertigineuse et labyrinthique de la signification. Ils sont en cela opposés à la dimension lyrique, émotionnellement chargée, et métaphysique des poèmes de Rilke et d’Ungaretti.
Les quatre couples de poèmes chantés sont accompagnés par un effectif instrumental différent, choisi en fonction des qualités expressives de chaque poète. Mon objectif était de revêtir ces textes du moindre habillage sonore, le plus pertinent possible et respectueux de leurs qualités poétiques et formelles, tout en étant hautement expressif et en essayant de mettre en valeur un phénomène de dépaysement et d’ambiguïté que je décrivais ainsi dans le texte de présentation du cycle lors de sa création partielle en 1996 :
Le langage "visible" de ces textes se noue secrètement à un langage-ombre, celui, maternel, du poète : il serait donc réducteur de parler de traduction quant à cette démarche oscillant entre le français et une langue autre. Les deux sont étroitement liés dans l'imaginaire du poète et se reflètent mutuellement, «le lieu du sens naissant dans l'entre-langue» (Jean-Charles Vegliante).
Situation semblable à celle du compositeur qui met un texte en musique ? Attiré par les forces opposées de la musique et de la poésie, il ne peut se limiter à faire passer la parole dans le son. Il doit rassembler l'énergie contradictoire de ces deux domaines qui, chacun se faisant face, réclament leur autonomie.
Les poésies de Luca sont écrites et dédiées à la mémoire de Haydée Charbagi, avec qui j’ai tissé un dialogue très fécond sur le rapport entre composition musicale et poésie, sujet qui m'a toujours intéressé et qui encore aujourd'hui est l'un des moteurs principaux de mon inspiration. Haydée m'avait guidé dans le choix des poèmes de Luca : elle est prématurément décédée avant que cette partition ne voie le jour.
S.G. 21.6.11